Prostitution et imposition
Au moment où les produits fiscaux apparaissent supérieurs aux prévisions, le Cercle d'Etude des Réformes Féministes demande qu'il soit mis fin a un prélèvement fiscal honteux, qui fait de l'état un proxénète : l'imposition des gains des prostituées. L'Etat français peut se dispenser de financer son budget avec l'argent de "passes" ! Le conseil d'Etat a jugé en 1979 que les gains des prostituées sont imposables, et l'administration a confirmé cette interprétation du code des impôts. Nous demandons donc au gouvernement, pour contrer cette jurisprudence, un projet de loi affirmant explicitement que les gains des prostituées ne sont pas un revenu imposable.
La prostitution n'est pas un travail, c'est une violence. La prostitution n'est pas une activité "librement choisie" : la plupart des prostituées sont victimes de la pauvreté ou ont été victimes d'abus sexuels dans leur enfance. Le rôle de l'Etat doit être d'aider les femmes (ou les hommes) qui sont dans cette situation, et non de tirer profit d'elles.
Communiqué du CERF : http://c-e-r-f.org
Proposition de lettre
Ministère de l'Economie et des Finances
139 rue de Bercy
75012 Paris
Monsieur le ministre,
Nous attirons votre attention sur une réglementation fiscale scandaleuse : l'imposition des gains des prostituées.
L'imposition des gains des prostituées est une violence d'Etat contre les prostituées.
Cette réglementation (1) :
- oblige les prostituées ã se prostituer encore plus pour payer des impôts,
- vole aux prostituées de l'argent qu'elles pourraient utiliser pour se sortir de la prostitution,
- oblige les prostituées qui voudraient arrêter la prostitution, à continuer à se prostituer pour payer les "impôts" sur leurs "revenus" de l'année précédente.
L'Etat français agit comme un proxénète !
Selon la définition du code pénal, prélever sa part de l'argent des passes, c'est bien " tirer profit de la prostitution d'autrui" : c'est la définition du proxénétisme (2).
La prostitution n'est pas un travail mais une violence.
Parler de "revenu" de la prostitution, comme le fait la réglementation actuelle, c'est assimiler la prostitution à un travail, une activité qui serait normale. La notion de "revenu" fait l'objet de nombreuses discussions parmi les fiscalistes, mais dans tous les cas elle correspond à l'idée de
production de richesse, d'activité économique.
Une telle qualification de la prostitution est inacceptable : aucune femme n'est "faite pour ça" (3) : la prostitution n'est jamais une activité "normale".
La prostitution n'est pas un travail mais une violence contre la prostituée, même si elle s'y résigne.
La prostitution n'est pas une production de richesse mais la destruction d'une personne (4) !
Le corps n'est pas un objet économique, le corps humain n'est pas une marchandise, il est indisponible (5).
La prostitution n'est pas non plus une façon de gagner sa vie qui serait "librement" choisie.
Parler du "choix" des femmes de se prostituer c'est ignorer, non seulement la traite des femmes, mais aussi l'oppression économique des femmes qui les pousse à se prostituer. C'est aussi oublier, que d'après plusieurs études faites dans différents pays, la majorité des prostituées ont été victimes d'abus sexuels dans leur enfance, un traumatisme qui laisse des
séquelles psychologiques et fausse, bien entendu, les "choix" ultérieurs.
Nous demandons à l'Etat d'abolir immédiatement l'imposition des gains des prostituées.
Les gains des prostituées sont imposables actuellement selon l'interprétation par le Conseil d'Etat de l'article 92-1 du CGI. Interprétation confirmée par l'administration fiscale (voir note 1).
Nous demandons donc :
- au gouvernement : un projet de loi affirmant que les gains des femmes (ou éventuellement des hommes) prostitué-es ne sont pas un revenu imposable.
- à l'administration fiscale : d'infirmer sans délai sa doctrine actuelle et de déclarer que les gains des prostitué-es ne sont pas imposables.
Le Conseil d'Etat a également jugé que les "revenus" des proxénètes sont imposables (6). Cette interprétation permet peut être une répression accrue des proxénètes. Elle est pourtant fondamentalement fausse : les "revenus" des proxénètes sont le produit d'un vol, d'un enrichissement sans cause aux dépens des prostituées, ils appartiennent aux prostituées. Le rôle
de l'Etat doit être de les restituer à celles-ci et non d'en empocher une partie.
Nous demandons qu'il soit mis fin aux redressements fiscaux et aux poursuites pour non paiement d'impôts contre les prostituées. Par contre, il ne faudrait pas que la fin de l'imposition leur nuise : actuellement certaines prostituées trouvent un intérêt à declarer des revenus (ex : pour obtenir, en présentant leur avis d'imposition, un bail pour un appartement).
Il ne faudrait pas provoquer des difficultés supplémentaires à ces femmes, ou les stigmatiser, en refusant (7) d'établir des avis d'imposition correspondant aux déclarations de "revenu" qu'elles feraient volontairement.
La France a signé la convention abolitionniste de 1949 (8) : elle doit la respecter. Aujourd'hui tout se passe comme si la République disait " ce ne sont que des putes, on peut les 'faire payer': impôts, amendes". Cette vision barbare, punitive, doit cesser.
L’Etat doit aider les femmes (ou les hommes) qui sont en situation de prostitution, et non en tirer profit.
Nous vous prions d'agréer, monsieur le ministre, l'expression de notre haute considération.
Le C.E.R.F
1- documentation administrative BNC (15/12/1995) 5G116F " prostitution : les revenus tirés de la prostitution doivent, en application de l'article 92-1 du CGI, être regardés comme relevant de la catégorie des BNC (ce, arrêt du 4 mai 1979, req. na° 9337)."
2 -code pénal article 225-5 " le proxénétisme est le fait par quiconque, de quelque manière que ce soit : 2a° de tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ....3a° d'exercer sur une personne une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire"
3- il n'y a pas des "mamans" d'un côte et des "putains" de l'autre..
4 - un métier valorise celui qui l'exerce, alors que le seul "service" que le "client" attend de la prostituée, comme le violeur, c'est justement, à l'inverse, la jouissance de l'asservissement de la femme : le client ne s'occupe pas de son propre corps, il se fait servir.
5 - code civil article 16-1 " chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial."
6 - documentation administrative BNC (15/12/1995) 5G116F
" proxénétisme : les subsides perçus de personnes se livrant habituellement à la prostitution constituent pour le bénéficiaire, des revenus imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Le contribuable ne saurait invoquer le caractère délictueux de son activité pour soutenir que les ressources qu'il en tire ne sont pas imposables (ce, arrêt du 5 novembre 1980, na° 13222)."
7 - ce qui serait d'ailleurs sans fondement légal.
8 - convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui du 2 décembre 1949 : préambule " considérant que la prostitution et
le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu, de la famille et de la communauté." article 1 : " les parties à la présente convention conviennent de punir toute personne qui, pour satisfaire les passions d'autrui : 1) embauche, entraîne ou détourne en vue de la prostitution une autre personne, même consentante; 2) exploite la prostitution d'une autre personne, même consentante."